Ou est le poème
En ces temps,
les corps étaient troués, lessivés,
tous d’une origine incertaine,
des bouts et des os
débordants de paniers.
Dans la grotte clandestine,
une enfant siège, concentrée
le visage sali,
ongles noirs comme tiges de bois morts
peau brûlée jusqu’au cou,
jambes lactées.
Méticuleuse, elle forme autour d’elle
un monument instable de chaises,
dans ce montage fébrile et grinçant
ses mains oiseaux virevoltent
et fous malaxent et modulent,
les peaux sombres, la chair carmin,
la graisse jaune,
en des formes sans contours.
Sépultures à qui elle donne des noms,
généalogies guerrières,
ainsi le père, ainsi la mère,
puis d’un coup de pied rageur
renverse tout l’édifice
écrasant
la forme dite mère,
la forme dite père.
S’élève alors nonchalant, ininterrompu
son cri, une tristesse
Où est le Poème ?
II
Plus bas,
une traînée de lumière s’égare,
nul soleil dans l’espace confiné
seul le bruissement répétitif de ses lèvres,
mouvement perpétuel,
lecture infinie,
inaudible et legato.
Dehors la lumière brûle,
engendre de grands carrés de verdure
dans lesquels des corps allongés
épousent le sol.
Où est le poème ?
beugle encore
la voix enfantine perchée, furibarde.
Ricanements de ceux couchés,
réveillés maintenant.
Ils s’accouplent,
et descendent dans le jouir.
Le paysage lui ignore tout,
il vole les reflets,
dérobe l’ombre de chaque corps,
s’ingénie à tout blanchir,
puis avale à chaque fourré
le vert nouveau et le sépia doré.
Au loin, l’horizon pâle,
cet os de vieillard se décolore aussi vite
que la lumière rompt les couleurs.
Elle qui file,
l’on pourrait entendre en un écho
son rôle des derniers mille ans.
La meute, se lève,
magma de vie juste avant les ténèbres.
Leurs cantiques montent à l’unisson,
illuminent leurs unions difformes, généreuses,
au-delà du sentiment.
Muse des Vainqueurs,
la fillette reçoit torgnoles, visions salaces
Dans l’herbe ,
gaillarde elle file
de clan en clan,
ne se fixe jamais.
III
Elle vocifère,
dans le creux du jour
Ou est le poème ?
sa phrase erre de parcelles en pâturages,
jusqu’à disparaitre dans un fourré sombre.
Pour la bouche, pour la bouche
minaude maintenant la petite,
mendiant un nouvel os.
La créature se hisse dans les recoins,
avance, corps antique,
grouillant de vermines.
Farouche,
mains sur les hanches,
levant ses guenilles,
elle se dévoile
en un geste précis, souple
pâleur immaculée.
de son cul cristallin
qui fusionne avec l’horizon.
Un silence insensé s’étend,
s’allonge et s’introduit
dans chacun des corps
devant la délicatesse de sa chair.
Quelques secondes,
et déjà le tissus s’affaisse
sur l’astre blanc et neuf.
Quels sont les coeurs
où est la fiction ?
le poème de toute façon.
IV
Bientôt six heures,
sa main gratte l’écorce de jeunes arbres,
écorche leurs peaux fragiles,
sa bouche chétive,
pompe dans l’encoche,
le suc translucide,
eau puissante, ruisselante
jusqu’à ses cuisses ouvertes.
Vestale et Circé,
elle s’offre,
avale, puise.
Derniers éclairs
la pluie fait sombrer l’azur malingre,
quelques lumières perdues
voyagent en zébrant le ciel.
La chaleur s’éternise puis tombe.
Prédatrice affamée et cruelle,
l’enfant creuse sa niche dans la terre rôtie.
Dans le fond innocent,
le sifflement des arbres en cathédrale.
tandis que revient
Ou est le poème ?
telle une ordalie
d’une vallée à l’autre.
V
Dans les tranchées en contrebas,
des corps en tas,
quelques guerriers observateurs,
comptables d’os.
Incantation de momies,
face bouches ouvertes,
fesses décharnées.
Partout dans le pays,
se cachent
la peau bistre
des derniers vainqueurs.
La horde avide,
n’en finit pas euphorique
de remuer tous les terriers,
pour dénicher ce gibier.
Au-delà des 16 années,
t’es mort
tête de mort.
À chaque rixe,
avant le geste radical,
leurs bouches brament
en une même pulsation
Ou est le Poème ?
Assurés qu’aucune réponse,
ne surgira, le sang fuse,
dans le silence, les rires,
en fonction de l’épaisseur
et la rigueur du jet.
De loin en loin,
la supplique rugit.
Quand arrivent les anciens chants,
les transes nocturnes,
la mémoire de l’antique.
On veut 1000 beautés,
la beauté n’est jamais suffisante,
encore plus de beauté,
mugit la drôle dans le crépuscule.
La phrase résonne,
rebondit dans le feuillage,
Dans la bouche de l’enfant
Où est le poème
Où est le poème ?
VI
Jamais les territoires,
n’ont été si vifs, si beaux.
Pénombre dans le lavis bleu,
quelques instants de repos,
la pucelle fiévreuse, éructe
essuie sa bouche crasse,
sur les feuilles rutilantes.
Elle hante et sonde,
les corps avachis,
les fouille.
Folle qu’elle est,
elle cherche et exige cette beauté
aux tréfonds des organes,
elle triture,
ce n’est jamais assez.
Où est le poème ?
fulmine la môme.
Sinistre, au loin
la ville décharge
tout est cabossé, détruit,
pas même une jolie ruine,
qu’on exhibe comme un cadavre vert,
et esthétiquement valable.
Un tas de merde,
en vrac
oui.
Les cadors à coups de pieds,
d’armes, de breloques cinglantes et acérées
ont fini par avoir la peau
de toutes les structures
de fer, de pierre, de rien.
VII
Voyous, pirates, despotes,
dansent en cette cérémonie de feu,
à coup de pierres, de pieux, de bombes.
Ils n’en finissent pas
satires et orduriers
de tout décimer
en une poussière sombre qu’ils lancent au ciel.
Nuages somptueux,
qui fardent les corps,
le monde ancien, enfin enseveli,
s’efface de lui même.
Arrive, opère
les transmutations spectrales,
les mues généreuses, inespérées.
Dans ce dédale de détritus géants,
le chant frénétique,
d’oiseaux innombrables, leurs sérénades
surgissent du fond de la terre.
Se joint à ce long écho,
rauque épuisé et répétitif
venant de toute part :
Où est le Poème ?
A l’heure des récitatifs,
quand titube la nuit,
la gosse ne traîne pas,
et disparaît fissa
dans la remontée cireuse d’une lumière.
VII
Après quelques années,
seuls les os
étincellent sur les collines,
La vestale s’empare de ces formes
qu’elle caresse,
compare aux dimensions
de son propre corps.
Elle cajole certains plus épais,
d’autres extrêmement délicats,
les enlace, les entoure
éprise, elle en raffole,
les entasse dans sa nécropole
trésors de reine,
joujoux enchantés.
Le Poème se dérobe encore
dans les sentiers,
un crâne trouvé à terre,
lui redonne vie,
fait claquer les dents restantes
La pythie prodigieuse,
se délecte et dépouille.
De sa bouche,
De son ventre,
De son sexe,
surgit cette élégie gutturale
son long cri
Où est le poème ?
XV
À cet instant du langage,
de sa complexité,
il ne reste qu’une phrase,
il ne reste qu’une question,
il ne reste qu’une légende.
La recherche du poème
fonde la communauté,
tous se reconnaissent
dans sa quête.
Le rêve du poème,
cette suite secrète et insensée de mots,
dissimulée quelque part dans le reste du monde.
X
Où est le Poème ?
cet archipel,
éliminant tout ce qui fléchit,
haillons piteux,
peur et honte.
Plus loin la gosse,
prenant n’importe quelle petite hauteur entonne :
Qu’ils soient maudits les larrons,
les sacrilèges, les ravisseurs,
et compagnons leurs,
conseillers et coadjuteurs
Qu’ils soient maudits de la ville
aux champs, en forêt,
dans les maisons,
les granges, les lits,
en chemin, en métairie, en rivière,
en justice étant arrêtés, parlants, ne disant mot
en mangeant, veillant, dormant, buvant
Assis, couchés, en oisiveté au travail.
Maudit tout ce qui est à eux :
Tête, bouche, narine, palais, dent, yeux, paupière, cervelle, langue gueule,
gosier, poitrine, vessie, jambe, main, doigt, jointures, genoux, chair, os et sang.
Maudit de la tête aux pieds
que tout ce qui est ainsi
soit maudit.
Lasse, la main relâchée,
Bonace,
observant dans l’humus
le mouvement ondulant
d’une fleur chétive
elle chuchote victorieuse
Ou est le poème ?
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